Pendant toutes les années de mon travail avec Pina, j`ai toujours ressenti chaque pièce qu`il m`a été donné de danser comme un grand cadeau.
Le premier de ces cadeaux que je reçu fut « Café Muller ». Ce premier cadeau restera pendant toutes les années qui vont suivre, mon cadeau le plus cher.
Une courte pièce de trente cinq minutes qui parvient á « crier » tant de choses profondes et existentielles peut-être qualifiée de chef-d`oeuvre. Je devais remplacer le pauvre Rolf Borzik qui affaiblit par une longue maladie, ne pouvait prendre son rôle.
La distribution pour cette pièce était intime. Nous étions juste six danseurs et danseuses dont Pina. La chorégraphie se passait dans une salle de café remplie de chaises et de tables.
En fond de scène, Pina, évoluait contre le mur et dansait comme un esprit irréel.
Dominique Mercy et Malou Airaudo dansaient un couple qui se cherchaient, qui sans cesse se rencontraient et s`affrontaient sans trouver la paix. Aveuglés par la force de leur désespoir ou par la rage de leurs émotions, Malou et Dominique traversaient la scène sans se préoccuper des obstacles que représentaient les chaises et les tables. Mon rôle était de les protéger en retirant ces obstacles avant qu`ils ne buttent dessus.
Il ne s`agissait pas pour moi donc de danse dans son sens commun du terme, mais je peux dire que c`est l`expérience de scène que j`ai gardé la plus chère dans mon coeur, et celle qui m`appris les choses les plus importantes.

Mon premier « Café Muller » fut au Festival de Nancy. Je m`en souviendrais toute ma vie par ce que n`ayant aucune expérience de ce que représentais cette grosse responsabilité, je me suis rapidement trouvé dépassé par les évènements et, alors que mes interventions se devaient d`être non seulement efficaces, mais aussi discrètes, mon agitation m`a amené á prendre un « premier rôle » qui ne se devait pas d`être.
Nancy fut suivit par une longue tournée á travers divers pays d`Amérique du Sud, et petit á petit j`appris á mieux contrôler ce que j`avais á faire et surtout á devenir plus discret dans mes apparitions. J`écris cela de manière un peu désinvolte, mais cette tournée et ce rôle m`ont plus d`une fois coutés quelques larmes de découragement.
C`était ma première tournée et nous avons fait 24 représentations á travers 6 pays de l`Amérique du Sud. Voyage inoubliable, mais d`un rythme assez marathonien.
Nous présentions deux différentes soirées. L`une était la soirée « Café Muller » suivit du « Sacre du Printemps » que les membres de la famille « Cafe Muller » dansaient aussi. L`autre spectacle était « Kontakthof », une magnifique pièce de Pina qui durait trois heures.
Une tournée don assez éprouvante physiquement, mais nous étions jeunes et bien en forme. Les accidents étaient rare, mais les chaises et les tables de Cafe Muller, surement furieuse de ce que je leur faisait subir, se vengeaient et laissaient parfois quelques traces de petites blessures sur mes tibias. Compte tenu de la violence de certaines scènes, c`était quelque chose de normal et qui n`avait rien á voir avec ma maladresse de débutant. Petit á petit, les ecchymoses se rajoutaient sur mes jambes, et je prenais garde de ne pas les montrer. Fier comme Arbatan, je ne voulais pas demander s`il me serait possible de me protéger; je pensais qui fallait rester « authentique » et supporter l`épreuve…
Heureusement, un jour Malou voit mes tibia multicolores et me « passe un savon » bien mérité. Bien entendu, personne n`avait quoique ce soit contre le fait que je porte des genouillères et des protections, et depuis ce jour là, mes tibias reprirent un couleur plus humaine.
 

Je ne m`en suis pas rendu compte tout de suite, mais ce rôle avait quelque chose de particulier en regard á tout les autres choses que j`ai eu á faire sur scène. Ce qui m`était demandé de réaliser sur scène n`avait en fait rien á faire de la présence d`un public ou pas. Bien entendu, lorsque le spectacle se faisait devant un public, il me fallait faire attention á ne pas envoyer de chaise ou de table sur le premier rang qui n`avait pas payé ses places si cher pour se prendre des meubles sur la figure.
Mais á part cela, ce que j`avais á faire était essentiellement de prendre garde que ni Malou, ni Dominique , ni aucun des danseurs ne se blesse sur ces chaises et tables qui parsemaient la scène. Je veux dire par là que á aucun moment je ne devais considérer que j`étais en représentation.
Mon rôle était d`être une ombre discrète, précise et efficace. Je ne devais ni attirer trop l`attention des spectateurs sur ma présence, ni déranger par des gestes ou des bruits inutiles Malou et Dominique qui vivaient leur intimité bouleversée et bouleversante. Il était aussi important que je veille á ne pas, dans la mesure du possible, envahir leur espace par ma présence ou mon énergie.
En fait, en écrivant ces lignes, je me rend compte que tout ce qui m`était demandé est quelque chose que les japonais savent très bien faire naturellement.

J`ai continué á présenter cette pièce avec la compagnie de 1979 á 2016, soit environ pendant trente cinq ans, et jamais je n`au eu le moindre sentiment de lassitude. Je pourrais dire la même chose pour toutes les autres pièces du répertoire de Pina, mais celle-ci est celle que nous avons présenté vraiment le plus souvent.
Oui, parfois avant le spectacle, il m`est arrivé d`en vouloir á toutes ce chaises et tables de me créer autant de responsabilité, mais le sentiment qui accompagnait l`après-spectacle a toujours été une belle sérénité, heureuse que ceci ai eu lieu.

« Cafe Muller » fut vraiment une belle école qui va me profiter tout au long de ma vie; encore merci !.