Arien a été créée en 1979, juste avant que je commence mon aventure avec la compagnie. C`est pour ainsi dire la première pièce de Pina qu’il m’ai été donné de voir. C`était lors de ma première visite á Wuppertal alors que j’avais fait le déplacement pour me présenter á Pina et que j’avais fait bien rire tout le monde avec ma maladresse. J’avais eu la chance que le jour de ma visite soit aussi le jour de la générale de cette pièce qui allait être présenté au public parisien quelques jours plus tard. N`ayant jamais vu quoique ce soit du répertoire de Pina, je m’étais assis tous seul au premier balcon de cette grande salle vide qui n’étais occupée que par Pina et ses assistants, assis au fond des rangés du par-terre. Je ne pouvais donc pas les voir et moi, assis au premier rang du premier balcon, j’avais très fortement l’impression que le spectacle ne se déroulait que pour moi, un sentiment d’irréalité qui ne fit que grandir au fur et á mesure que les scènes se suivaient devant mes yeux hallucinés. Le décor de cette pièce est en fait très limité. Juste quelques table de maquillage qui longent les cotés de la scène, mais tout cela les pieds dans l’eau…! En effet, la scène est entièrement recouverte d’eau, environ une vingtaine de centimètre et dans le fond, une bassin plus profond, ce qui n’est pas visible pour les spectateurs. L’eau est chaude mais bien sûr supportable pour les danseurs et il s’en dégage une légère vapeur qui contribue au sentiment d’irréalité que l’on ressent devant cet espace magique. Lorsque on s’imagine que se rajoutent les réflexion des lumières, la musique d’opéra avec la voix de Beniamino Gigli, les cris et les rires des danseurs barbouillés de maquillage et vêtus de costume hétéroclites, il est possible de comprendre que les mots me manquent pour dire l’effet que cela m’a fait. L’expression qui me vient á l’esprit et, qui se confirmera plus tard lorsque je ferais partie moi-meme des habitants de ce monde fantasmagorique, est que cette pièce est un vrai « trip ». J’entends par ce mot emprunté, le « trip « que l’on utilisait vers les années soixante dix pour désigner les effets que vivait un drogué sous l’effet par exemple du L.S.D. Des scènes familières comme des personnes se retrouvant pour un enterrement qui échangent des condoléances á voix basse, ou une autre scène où les personnes en habits de soirée sont reçues par la maitresse de maison, et se rassemblent á une table de dîner, montrent le monde formel et structuré que nous connaissons. Chacune de ces scènes va petit á petit se développer en une hystérie collective, bruyante, colorée, et bien entendu parfaitement chorégraphié par Pina dans laquelle, malgré l’impression de chaos qui s’en dégage, n’intervient aucun moment d’improvisation. Cette alternance de scènes représentant des moments de calme, ou de recueillement avec des scènes dans lesquelles les personnage semblent au bord de la folie et du désespoir guide le spectateur tout au long de la pièce. J’ai eu la chance d’avoir plusieurs moments particuliers á interpréter dans cette pièce. Comme par exemple, le personnage qui, ne supportant plus la tristesse de tous ceux qui l’entoure, se met á aller de l’un á l’autre pour leur raconter des histoire drôles qui sont sensées les sortir de leur léthargie pesante, tout cela accompagné d’un rire forcé qui sonne faux á faire mal. N’obtenant aucune réaction, il va aller se percher sur le bord d’un balcon et, de là, comme s’il voulait sauter dans le vide, va continuer á crier ses plaisanteries pour attirer l’attention. Mais le moment qui, á chaque fois, m’a touché le plus et que je n’oublierais jamais, est celui où je me laisse tomber dans le bassin en fond de scène. Nous sommes tout d’abord tous en train de courir jusqu’á épuisement en faisant des aller-retour du fond de la scène vers l’avant. Pendant que nous courons, chacun de nous crie des mots sur l’amour et cette course sans but ni fin donne une impression de désespoir devant l’impuissance. Ces cris se mêlent á la musique et au chant de Beniamino Gigli. Alors que la scène atteint un certain paroxysme, je me tiens, en fond de scène devant le bassin, et me laisse tomber droit face vers l’avant dans l`eau. j’y reste un petit moment á flotter comme un mort flottant, puis je recommence pendant un certain temps. Quand je me laisse tomber, j’ai les yeux fermés et j’entend la musique et les cris et rires des autres danseurs, puis, au contact de l’eau, après un grand « splatsch! », c’est le silence complet puisque j’ai les oreilles dans l`eau. Le contact de l’eau tiède rend ce moment d’immersion encore plus irréel et, après réflexion, donne un sentiment de « déjà vu », peut-être un sous venir profondément enseveli des neuf mois passés tout près de maman…? Selon moi « Arien » raconte la rencontre de l’être avec le monde insaisissable des choses de la vie et de la mort devant lequel il se sent impuissant et qu’il ne peut que subir.. Le désespoir pathétique de la crise existentielle.., et cette pièce le fait de façon parfaite. |